Faut-il reporter les élections communales ?
Face à la difficulté à faire campagne et à recruter des candidats, certains élus réclament un report du scrutin. D’autres y voient un moyen de faire de la politique autrement
Le mouvement «Écologie et citoyenneté» d’Échallens fait campagne avec un vélo-cargo pour aller à la rencontre des gens. Ici, Patrick Miéville (casquette), Jean-Christophe Boillat (veste kaki), Catherine Carron, Marc Müller (sur le vélo) et la petite Lisa.
Apéros, poignées de mains, discussions au bistrot, raouts… Les rituels électoraux ne sont guère compatibles avec les restrictions sanitaires. Coronavirus oblige, les candidats aux Communales vaudoises vont au-devant d’une campagne unilatéralement qualifiée de «bizarre».
Pour Cyril Zoller, en lice pour le parlement aiglon sous la bannière AlternativeS, elle risque d’être biaisée par la crise. «Il y a toute une partie des citoyens – confinés ou qui n’ont pas accès aux réseaux sociaux – que nous n’atteindrons pas. Comment pourront-elles choisir les bonnes personnes sans les connaître, sans pouvoir les approcher même, en raison des distances sanitaires?»
Fort de ce constat, l’Aiglon veut susciter le débat: et si on repoussait les Communales à des jours meilleurs, «à mai, voire juin»? L’idée rencontre un écho au centre. La députée Vaud Libre bellerine Circé Barbezat-Fuchs relayera la question mardi en séance du Grand Conseil. Ancien secrétaire des Vert’libéraux et candidat à la Municipalité de Bex, Michael Dupertuis serait également plutôt enclin à repousser. Idem à l’extrême gauche: «Notre parti aime organiser des repas, des moments conviviaux; c’est quelque chose d’important. Nous sommes aujourd’hui très limités dans ces démarches», observe Anaïs Timofté, présidente du POP-Vaud.
«Il serait incongru de déplacer ces élections. On ne doit pas suspendre la démocratie; il est essentiel que nos institutions continuent à fonctionner», Kevin Grangier, président de l’UDC-Vaud. Si la question ne paraît pas saugrenue à Kevin Grangier, président de l’UDC vaudoise, «il serait incongru de déplacer ces élections. On ne doit pas suspendre la démocratie; il est essentiel que nos institutions continuent à fonctionner. Je dirais même qu’il y a un côté symbolique: on doit aller de l’avant.» Cheffe de la députation PLR et candidate à l’Exécutif du Chenit, Carole Dubois renchérit: «En période d’élections, il y a une forme d’inertie qui s’installe dans la gestion des projets, les municipaux ne sachant pas s’ils seront encore en poste. Prolonger cette période d’inertie ne me paraît pas être une bonne idée.»
Les petits pénalisés?
Les formations indépendantes semblent les plus séduites par l’idée d’un report. «Financièrement, prolonger la campagne ne nous avantage pas; mais les petits partis sont clairement plus dépendants des contacts directs pour faire connaître leurs idées», observe Cyril Zoller. Anaïs Timofté précise: «Les grands partis n’ont pas besoin d’être présents sur tous les marchés pour que les électeurs aient une idée de leur programme. Les mouvements alternatifs ont davantage besoin de visibilité.»
«Il y a toute une partie des citoyens – confinés ou qui n’ont pas accès aux réseaux sociaux – que nous n’atteindrons pas. Comment pourront-elles choisir les bonnes personnes sans les connaître?» s’interroge Cyril Zoller, candidat AlternativeS à Aigle.
Alberto Mocchi, président des Verts vaudois, estime que «si la situation actuelle pose effectivement des questions, être présent sur un marché ne garantit pas davantage de toucher tout le monde. Une campagne, c’est un ensemble de vecteurs.» Pour Claudine Wyssa (PLR), présidente de l’Union des communes vaudoises, tous les partis sont d’ailleurs logés à la même enseigne. «Je ne vois pas l’intérêt de repousser. Je doute que la situation sanitaire change drastiquement en deux ou trois mois.»
Sandra Glardon, candidate socialiste à la Municipalité de La Tour-de-Peilz, bastion de la droite, voit une chance: «Faute de pouvoir se réunir ou tenir un stand sereinement, le Covid impacte particulièrement les partis d’opposition comme nous ou les nouvelles formations, et c’est un stress supplémentaire pour trouver des candidats et faire campagne (lire encadré), mais c’est aussi une occasion de se réinventer.» Ou d’être «audacieux et innovants», renchérit Kevin Grangier.
Un défi de «créativité»
Oui, mais comment? Là, les réponses sont évasives. La plupart des Communes et partis affinent leur stratégie en modulant l’existant au mieux. «Il faut trouver le juste mélange entre réseaux sociaux, qui touchent une partie des électeurs mais pas tous, et journal local, considère Cédric Roten, syndic socialiste de Sainte-Croix. Il faudra peut-être aussi se résoudre à appeler les gens individuellement, à l’anglo-saxonne. Cela s’annonce en tout cas un bel exercice de communication.» Certains, comme les Vert’libéraux, misent sur des courriers personnalisés ou des événements en direct sur les réseaux sociaux. «On essaie de recréer autrement ce lien social», explique Michael Dupertuis.
Fabrice Cottier, candidat PLR à la Municipalité d’Aigle, se réjouit de relever «le défi de se démarquer». La recette de son parti? Aucun stand, pas d’affichage sauvage, mais «un sondage papier envoyé avec QR code pour répondre sur téléphone ou ordinateur.» Circé Barbezat-Fuchs y voit, là encore, un biais défavorisant les petites formations locales: «Les partis fédéraux disposent de plus de moyens financiers et humains et d’une organisation plus conséquente qui permet des synergies entre sections. Un tous-ménages, comme ceux envoyés à Bex et Aigle par le PLR, a un coût bien plus élevé qu’un stand.»
«Les grands partis n’ont pas besoin d’être présents sur tous les marchés pour que les électeurs aient une idée de leur programme. Les mouvements alternatifs ont davantage besoin de visibilité.» Anaïs Timofté, présidente du POP-Vaud.
La palme de l’inventivité revient au nouveau mouvement d’Échallens «Écologie et citoyenneté». Ses slogans et QR code d’un mètre sur deux dessinés à la craie dans des lieux emblématiques de la cité du Gros-de-Vaud ont beau avoir fâché la Municipalité, ils ont fait un carton. «4000 vues sur Facebook, 30 membres actifs ultramotivés: c’est juste inespéré alors que nous n’existions pas il y a trois mois», s’enthousiasme Catherine Carron, qui annonce une liste pour la Municipalité et une autre pour le Conseil. La jeune formation se distingue également avec un vélo-cargo recyclé en lieu de discussion mobile. Un bon compromis entre respect des normes sanitaires et «volonté de porter le débat à l’extérieur, là où des personnes de foyers différents peuvent échanger en ces temps où les lieux publics sont fermés».
Les biais des réseaux sociaux
Peu actif sur Facebook (la dernière publication de la section yverdonnoise remonte par exemple au 31 décembre, celle de l’antenne Lavaux-Oron et Riviera au 13 mai 2019), le POP semble circonspect sur la tenue d’une campagne virtuelle: «Une partie de la population n’est pas présente sur les réseaux sociaux, réagit Anaïs Timofté. Et les algorithmes de Facebook induisent un autre biais, avec une sous-représentation des visions alternatives, dont les posts sont moins visibles.»
Source: https://www.24heures.ch/la-campagne-doit-muter-pour-vaincre-le-virus-810623378395